lundi 29 juin 2015

Du côté des Orthophonistes : massages de désensibilisation, pour ou contre ?

 
Retrouvez cet article sur : www.oralite-alimentaire.fr , où ce site est maintenant hébergé
 
Voilà un article dédié à mes collègues orthophonistes, qui, selon les formations auxquelles elles (les hommes orthophonistes m'excuseront de ce féminin qui soudainement l'emporte) assistent, reçoivent des informations différentes. Les massages sont quelquefois à peine évoqués, tandis que d'autres vont en avoir un éclairage minutieux, étant même baignés dans cette idée que "sans massages" l'oralité ne peut s'améliorer.

Une collègue avec qui je discutais, m'affirmait que nous avons pourtant tous les mêmes bases théoriques sur le développement. Alors ? Pourquoi ça coince ?

Pour rappel :
Les massages de désensibilisation sont apparus via Catherine Senez, orthophoniste engagée dans cette cause que représente depuis peu l'oralité.
Elle appuie sa technique sur l'idée que les mécano récepteurs de la bouche sont trop sensibles et que des massages répétés vont permettre d'augmenter le seuil de réponse. Un peu comme notre parfum auquel on s'habitue tellement que nos capteurs olfactifs deviennent rapidement peu réceptifs à celui-ci. L'habituation à la stimulation intra-buccale permettrait de faire céder l'hypersensibilité.

Je pense que les bases théoriques ne gênent personne ?
Mais alors ?  Qu'est-ce qui gêne ?

Notre culture ne nous amène pas à mettre les doigts dans la bouche de nos enfants. Même le généraliste y va du bout de son abaisse langue. Seul le dentiste s'autorise si besoin est une petite visite.
Cela est vécu par beaucoup de professionnels comme étant "intrusif", impossible à proposer puisque contraignant (7 fois par jour pendant 7 mois dit Mme Senez), et difficilement applicable par les familles sur le plan "technique". D'autres professionnels diront qu'on n'accède même pas à la bouche de l'enfant, et qu'il n'est donc pas possible d'entrer dans celle-ci tant l'enfant se débat. Ceux-là ignorent peut-être d'ailleurs que Mme Senez donne des astuces pour gérer cette phase quelquefois difficile.

Au final, ce n'est, me semble t-il que ça ? Si ce n'est le cas... voyez la fin de l'article, je vous invite à partager votre point de vue.

Mon avis perso sur ces histoires de massages et de SDS :

Mes premiers pas en matière d'oralité ont eu lieu avec Mme Senez. J'étais vierge d'infos autres. Cela ne m'a donc pas posé problème de proposer à mes petits patients ces histoires de massages.
Depuis, de nombreux enfants se sont succédé dans mon bureau. Certains ont eu des parents "bons élèves de la technique" (= réguliers, dans le plaisir,..), d'autres ont été des élèves moyens (oubliant des fois, faisant moins fréquemment qu'attendu, tenant moins de temps que préconisé, s'exécutant tels des robots, sans véritable plaisir transmis à l'enfant) ou même des élèves assez médiocres (incapacité d'adaptation du geste dans un climat agréable pour l'enfant). Mais j'ai aussi vu UN enfant très très difficile d'accès (en lien avec les gestes inadaptés des parents ? je ne peux en avoir la preuve, mais je le suspecte).

Globalement j'ai pour ma part conclu plusieurs choses :
- plus les enfants sont pris en charge jeunes (avant 2 ans), plus les massages sont efficaces, même avec une moindre fréquence (4/5 fois par jour, à chaque repas ou chaque couche).

- lorsque les massages sont efficaces et que les enfants accèdent vite aux morceaux (je parle toujours des moins de 2 ans), les massages ne sont pas nécessaires si longtemps. Le relais d'une alimentation diversifiée ne proposant pas que des repas industriels suffit à poursuivre ce travail de désensibilisation. Par contre, vu chez une enfant TAC, les massages arrêtés après 6 mois, sans relais de l'alimentation correct => retour en arrière et réapparition du nauséeux. Cette enfant pouvait manger des morceaux mais la famille avait choisi de "finir le stock d'assiettes Blédina achetées en promo". En deux mois d'été, le nauséeux était réapparu.

- lorsque les parents ne parviennent pas à réaliser les gestes rapidement malgré plusieurs séances à guider, ces massages peuvent devenir délétères : ils stressent tout le monde. Dans ce cas, je les arrête absolument.

- les massages avec des enfants ayant encore de gros réflexes de morsure nécessitent absolument l'utilisation d'un objet pour l'appui sur la langue (type manche rond de brosse à dents bébé). Le balayage du palais est plus compliqué à proposer de manière cohérente.

- les enfants plus âgés améliorent leurs troubles avec les massages, mais présentent des troubles persistants sur le plan gustatif / visuel / olfactif, avec pour certains, un profil de néophobie alimentaire persistant malgré tout. J'émets l'hypothèse que pour ces enfants, les informations sensorielles longtemps véhiculées via les repas sont solidement ancrées. Un travail sensoriel (les 9 sens) est indispensable pour la PEC de ces troubles selon moi.

- en grandissant, les troubles de type SDS cèdent dans de nombreuses familles. Je ne parle pas là de profils d'enfants spécifiques type polyhandicapés : j'ai trop peu de recul clinique pour pouvoir l'évoquer. J'évoque par exemple le cas des enfants prématurés, ou d'enfants tout-venant. La question à se poser serait donc : PEC ou pas PEC ? De plus en plus j'observe des orthophonistes qui s'interrogent à ce propos. Nous en reparlerons.

- ces troubles sensoriels alimentaires sont fréquemment retrouvés dans l'anamnèse de certains enfants porteurs de troubles spécifiques du langage oral, notamment quand ils ont une contrainte praxique. Sans PEC, le temps atténue les troubles. Sauf dans quelques familles pour lesquelles j'émets l'hypothèse que le mode éducatif participe à l'entretien du trouble. Ce ne sont là que mes observations cliniques ! Je les partage juste, je ne tire aucune conclusion "scientifique" en disant cela... Je commence néanmoins des recherches à ce sujet : vos observations sont les bienvenues :-)

Vous l'aurez compris, pour ma part je n'y suis pas opposée, mais je reconnais que la conviction que j'ai toujours eue que "cela fonctionne", a certainement clairement participé au fait que je puisse transmettre aux familles l'enthousiasme que j'avais reçu en formation.
Je reconnais aussi que pour certains enfants, cela ne suffit pas et qu'un travail sensoriel autre s'impose, sur un projet de type "intégration sensorielle".
Enfin, je tiens également à préciser que la méthode enseignée par Mme Senez nécessite absolument (elle le dit d'ailleurs elle-même en formation) que nous vérifiions que les parents appliquent correctement les massages... les parents, les nounous, les grands-parents aussi. Pour anecdote, je suis un petit garçon qui, gardé par ses grands-parents, avait des massages faits par son grand-père. Le jour où j'ai vu la technique du grand-père, je suis tombée à la renverse. Il provoquait un bon gros nauséeux à chaque massage pensant que c'était justement l'effet désiré. J'ai mis ma culpabilité stérile de côté et je me suis juré d'être plus vigilante !

Pour finir... je ne vous parlerai pas précisement de mon utilisation des massages "hors troubles de l'oralité", mais je profite de cet article pour vous confier à quel point ils me sont devenus "utiles" dans les prises en charge du langage oral chez les enfants petits sans langage.

A présent que cela est dit, que diriez vous d'échanger à ce propos ? Echanges de pratiques, débats d'idées, ajout d'informations ? Vous qui ne pratiquez "surtout pas", pouvez-vous nous expliquer pourquoi  afin que je, que nous, puissions nous enrichir tous et toutes les uns des autres ?


Je pense également aux familles qui vivent ces différences de point de vue comme fragilisantes. Sans doute cela serait intéressant qu'elles puissent comprendre pourquoi si l'orthophoniste consultée n°1 n'a pas proposé de massages, la n°2 l'a fait ?


8 commentaires:

  1. Bonjour, votre article tombe à pic ! Nous avons pratiqué les massages de désensibilisation auprès de ma fille porteuse du syndrome de williams pendant 1 an (mai2014-mai2015). Elle avait 3,5 ans quand on a commencé. Même s'il y a eu une amélioration, l'alimentation reste difficile. Je reconnais complètement ma fille dans ce passage :" les enfants plus âgés améliorent leurs troubles avec les massages, mais présentent des troubles persistants sur le plan gustatif / visuel / olfactif, avec pour certains, un profil de néophobie alimentaire persistant malgré tout. J'émets l'hypothèse que pour ces enfants, les informations sensorielles longtemps véhiculées via les repas sont solidement ancrées. Un travail sensoriel (les 9 sens) est indispensable pour la PEC de ces troubles selon moi." Votre hypothèse m'intéresse car cela pourrait correspondre au profil de ma fille. De quel travail sensoriel s'agit-til ? Auprès de qui cette PEC doit-être faite ?

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  2. Bonjour,
    Le travail sensoriel que j'évoque est connu des orthophonistes qui prennent en charge l'oralité. Selon les pays ou les régions en France, les ergothérapeutes proposent aussi ce travail. Pour ma part j'appelle ça " intégration sensorielle", mais vous trouverez aussi, par exemple l'appellation "atelier patouille" dans certains établissements de rééducation (CAMSP entre autre) où des groupes d'enfants sont reçus. Les psychomotriciens ou psychologues interviennent alors aussi autour de ces "groupes thérapeutiques" (qui peuvent, sous un autre nom, proposer la même chose...)
    Concernant votre question "qu'entendez-vous par là", j'en ai parlé globalement dans cet article : http://oralite.blogspot.fr/2015/06/traiter-les-troubles-de-loralite-via.html

    et le détail des activités possible est en cours. Le premier de la liste est celui-là : http://oralite.blogspot.fr/2015/06/activites-sensorielles-parfumees.html.

    Il reste beaucoup à expliquer. J'y travaille... et mets cela en ligne dès que possible.

    En attendant, je vous conseille si vous êtes en France de vous tourner vers une orthophoniste formée en oralité (toutes ne le sont pas encore).

    Enfin, vous pouvez aller sur la page facebook ( https://www.facebook.com/oralite) que j'alimente quotidiennement, vous y trouverez entre autre une vidéo du travail d'une équipe portée par l'hôpital R.Debré (https://www.facebook.com/oralite/videos/377892515739190/) qui vous offrira un aperçu de certaines stimulations sensorielles possibles.
    Mais promis... j'y reviens très bientôt dans d'autres articles de guidance.
    :-)
    Bon courage et merci de votre confiance !

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    1. Merci pour votre réponse. Je vais suivre votre conseil et essayer de me rapprocher d'une nouvelle orthophoniste formée sur l'oralité. Bonne continuation :)

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  3. Bonjour, merci beaucoup pour votre article que je trouve très intéressant. Je n'avais pas pensé à proposer des massages de désensibilisation à mes petits patients ayant un grand retard de LO, c'est une très bonne idée, à essayer !
    Je suis orthophoniste et je commence à me former en oralité... en ce moment je reçois une patiente de trois ans qui a bien progressé (elle accepte la cuillère dans la bouche, elle se brosse les dents, elle met des morceaux en bouche) mais elle refuse réellement de mastiquer, tout morceau est vite recraché. Elle "avale" son blédichef. Cela fait plusieurs mois que les parents font les massages de désensibilisation, que nous faisons des pique-nique, mais les morceaux "bloquent". Que faire? Auriez vous des idées, des conseils à me donner?
    Je vous remercie beaucoup pour votre réponse.

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    1. Bonjour Elsa.
      Si tu tentes l'aventure des massages chez des enfants TSLO avec contrainte praxique, j'ai hâte d'avoir ton retour !
      Concernant ta question : dois je comprendre que le problème n'est plus sensoriel mais masticatoire / moteur ? Elle supporte tout en bouche, mais ne croque pas les morceaux ?
      Cela s'inscrit-il au cœur de difficultés motrices plus larges ?

      Sache que les morceaux dans les assiettes Blédichef sont peu favorisants pour lancer la mastication. Ils sont mélangés dans une purée, ce qui n'aide pas l'enfant à jongler avec les morceaux qu'elle contient : il fait que leur langue soit bien habile pour se débrouiller de ces "petits trucs" là. Pour comparaison : que pensons nous des morceaux dans les yaourts aux fruits ? (mous et petits... les mastiquons nous ?)

      Quant à la mastication, on peut imaginer que cette petite a déjà été confrontée à un morceau mal géré et qu'elle s'en inquiète ? Pas de soucis de déglutition ? pas de FR ?
      Elle mange du pain ? elle mange des biscuits sucrés ou salés croquants ?
      As tu entraîné la mastication avec feed back auditif ? (type curly placé entre les molaires ?)

      A t-elle d'autres types de repas que Blédichef quelquefois ? Cela passe t-il ?

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    2. Bonjour, merci pour ta réponse.
      Pour être précise, il me semble que le problème soit sensoriel et masticatoire : par ex nous avons réussi à lui faire garder en bouche un curly (quelques secondes) mais s'il reste trop longtemps en bouche cela déclenche un reflux. Elle parvient à croquer du bout des dents le curly (ou une cacahuète) mais ensuite quand il est dans sa bouche elle le recrache aussitôt elle refuse d'essayer de mastiquer. J'ai davantage le sentiment que c'est un blocage plutôt qu'une réelle difficulté motrice : le fait que le morceau passe dans sa gorge lui fait très peur. (Par ex il y a encore quelques mois elle refusait d'avaler la compote, ou la purée)

      Par contre elle ne fait pas de fausse route et est tout a fait capable de déglutir.

      Au cours des pique-nique, nous lui proposons du fromage, des curly, du saucisson, des biscuits... elle va mettre en bouche pour suçoter le sel mais ensuite recracher le morceau.
      Justement nous lui avons fait croquer un curly avec ses molaires, mais de nouveau si le morceau est dans sa bouche elle le recrache précipitamment. Je viens d'acheter des "chewy tubes" sur hoptoys, j'essaye cette piste pour l'inciter à mastiquer ...
      Les parents lui proposent régulièrement d'autres choses à manger, de nouveau elle met en bouche, elle suçotte (une knaki par ex) mais après elle recrache. Pareil pour le pain.

      Donc finalement il faudrait supprimer les Blédichef et éventuellement proposer des purées progressivement de moins en moins mixées faites maison?

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  4. Il y a beaucoup à dire sur ton récit de cas.
    Tout d'abord, tant que le problème sensoriel persiste, je crois que viser du "moteur" va être compliqué. Sur le plan développemental, le sensoriel doit précéder même si, nous en serons d'accord, le développement entremêle étroitement les deux un peu comme la compréhension en l'expression en langage oral.
    Donc première question : massages depuis quand ? bien faits ? suffisamment appuyés ? fréquents ? ambiance positive ? As tu vérifié comment font les parents ? et toi quand tu refais tu trouves que c'est efficace, que l'enfant a du plaisir à ce que tu lui fasses ?

    Côté sensoriel "autre" : aversions ? as tu fait un profil sensoriel pour voir si d'autres canaux sensoriels sont fragiles (visuel ? vestibulaire ?...). Si c'est le cas proposes tu des activités visant à redonner une organisation cohérente aux entrées sensorielles en proposant des activités "multimodales" (= qui stimulent conjointement plusieurs sens / = ex de bateau sur l'eau où conjointement on a du vestibulaire, de l'auditif, du visuel et même du toucher finalement) ?

    Ensuite, ok on voudrait qu'elle mastique, mais dans le développement on voit que les enfants vont d'abord sucer, puis machouiller... et souvent recracher ensuite, avant de mastiquer vraiment. Cette petite a certainement besoin de passer par toutes les étapes précédentes avant de monter sur "le podium de la mastication" ?
    Enfin, que penses tu de sa bouche ? de ses amygdales ? Peut-elle avoir une gêne sur ce plan qui perturbe la déglutition de textures plus irrégulières ?

    Côté conseils... je crois que je les ai donnés en posant des questions ;-) C'est sûr que Blédichef... Attention, il ne s'agit pas de supprimer si c'est juste "ça" qu'elle aime, mais de proposer "en entrée" par exemple, d'autres choses, présentées différemment, pour amener cette petite à une variation de textures, et oui, selon moi un "lisse bledina" est bien plus régulier qu'un "lisse maison". Fait maison, ça sera plus pâteux sans doute, et puis les parents pourront rapidement offrir le même goût, en proposant une autre texture (impossible avec l'industriel). Certains parents que je suis proposent deux textures pour le repas (+/- mixé) côte à côte.
    Et puis pourquoi pas proposer une grosse branche de choux fleur, ou un bâtonnet de carotte cuite à prendre à pleine main pour le suçoter ?

    Sinon chewy tub etc... super OK... Tu peux proposer aux parents d'acheter le lot de brosses à dents bébé (en supermarché) qui contient une baguette sans poils, afin de s'entraîner à la maison comme avec les chewy tub. Tu peux aussi suggérer une brosse à dents à piles pour jouer avec comme les Z-Vibe : poser sur les joues, les lèvres, ... voire dans la bouche si cette petite trouve ça marrant.
    Bon courage !
    PS : des groupes d'orthophonistes sur Facebook pourront peut-être t'aider aussi en te donnant d'autres idées ?

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